Musique : Concerto de Aranjuez - II. Adagio - Rodrigo
Décembre 1942 à Budapest. La guerre envahit la ville un peu plus tous les jours. Hannah se produit quelquefois encore, en secret, afin de pouvoir survivre avec Ada. Grâce à ses concerts, elle achète parfois un peu de pain et de bois pour chauffer la pièce où elles se retrouvent le soir, avant d'aller se coucher. Cette nuit, une bise glaciale semble vouloir traverser les fenêtres de la salle à manger et une lune blanche éclaire le ciel dans une pâle froideur. Ada fredonne une chanson de petite fille pendant que Hannah prépare le dîner. La guerre est dans la ville, loin de la maison.
Des cris dans la nuit. Une porte qu'on fracasse. Des femmes et des enfants qu'on pousse dans la grande bâtisse. Des soldats qui hurlent que la maison doit être réquisitionnée et partagée avec d'autres familles juives. Ils montent et descendent le grand escalier à toute vitesse et font claquer leurs bottes. Ils tirent avec eux, des êtres hagards qu'ils poussent à l'intérieur des pièces. Des portes qui claquent et qui couvrent les pleurs des enfants.
Cachée derrière Hannah, Ada regarde tout cela, terrifiée. Hannah l'entraîne à l'intérieur de sa chambre et referme la porte sur elle. Elle ne doit rien entendre, elle ne doit rien voir. Hannah doit la protéger.
Le silence est retombé sur la maison. Et si rien ne s'était passé ? Et si c'était juste un cauchemar, un mauvais rêve ? La guerre est dans la ville pas dans la maison ? Alors, doucement, Hannah est sortie de la chambre et a regardé. Des vêtements, des valises grandes ouvertes jonchent le sol et les marches de l'escalier. Le seuil de l'entrée, resté béant, laisse entrer le froid glacial de l'hiver. Alors, non, ce n'était pas un rêve. Derrière chaque porte, une vie a été interrompue, brutalement, cruellement, injustement. Hannah entend les faibles pleurs des enfants et l'assourdissant silence qui suit toujours les grandes violences.
Cette guerre, Hannah ne voulait pas la voir. Pour elle, la regarder, c'était la faire exister. La maison sur la colline, c'était son refuge. Personne ne pouvait l'atteindre. Là-bas, elle était invisible, intouchable. Mais tout cela, c'était jusqu'à aujourd'hui, jusqu'à cette nuit, jusqu'à cet instant.
Souvent, on voudrait que les choses durent toujours, que rien ne change jamais. On voudrait figer l'instant et conserver précieusement le bonheur pour qu'il ne s'envole jamais. Mais la vie n'est pas faite ainsi et Hannah sait très bien tout cela. Rien n'est permanent, les bonheurs comme les malheurs. Tout s'efface, tout s'oublie. Mais, ce soir, dans le froid de décembre à Budapest, Hannah sait aussi que, avant de tout pouvoir effacer, il faut aussi vivre l'instant, même dans la douleur.
Alors pour oublier, un peu, maintenant, tout de suite, cette nuit au moins, Hannah a fermé les yeux, a serré le petit corps d'Ada contre le sien et s'est enfuie dans l'univers des rêves. C'est le monde qu'elle connaît le mieux et Hannah sait aussi qu'il n'appartient pas uniquement à la nuit.
Connexions si nécessaires et parfois révélatrices de ressources inconnue. Je suis très heureuse pour Hannah.