Musique : Giovanni - Adiago in D Minor
Il fait déjà chaud à Budapest en ce matin d'avril. Dès les premiers rayons de l'aube, Hannah a ouvert les yeux. Dans la pénombre de la chambre, elle regarde les raies de lumière qui s'infiltrent peu à peu à travers la fenêtre. Nul bruit, la maison dort encore. Elle écarte les draps du lit et enfile son peignoir de soie. Un frisson parcourt son corps et la caresse du tissu lui rappelle la douceur des mains de Etane.
Depuis des mois, la pensée de Etane ne la quitte pas. Elle a bien essayé, de toutes ses forces, d'ancrer sa pensée dans le présent mais en vain. Tout la ramène à lui : les souvenirs du passé, l'impuissance du présent, et les fantômes de l'avenir. Il est perdu dans un temps, indéfini, indéchiffrable. C'est une blessure qui la transperce et la laisse échouée dans une solitude et un désespoir secret. Etane n'est plus là, près d'elle mais sa pensée la suit. Elle la sent encore et toujours.
Lorsque son âme et son corps se font trop douloureux, Hannah demande à la terre de l'aider. Pieds nus, elle traverse le jardin, ouvre la porte en fer forgée qui mène à la forêt et descend la colline jusqu'au Danube. Après le fleuve, un peu plus loin, il y a les thermes. Hannah sait qu'elle peut s'y rendre dès six heures le matin et, que ce moment lui appartient, à elle seule. Elle plonge son corps dans la douceur de l'eau et la chaleur glisse sur sa peau. Elle la sent la pénétrer doucement au fond d'elle-même, jusqu'à son cœur. Elle ferme alors les yeux, le voyage peut enfin commencer.
Il lui est très familier ce chemin qui la ramène au paradis des âmes. Un tunnel de lumière blanche, avec au loin ce rayon éblouissant, et elle se souvient alors. Cette dernière mission sur terre, c'est elle qui l'a choisie. Avant, elle était guide. Elle accompagnait les âmes sur la terre et les aidait à essuyer leurs larmes. La souffrance, elle la connaissait très bien. Elle l'avait souvent vécue à travers ses nombreuses vies. Elle avait expérimenté la douleur physique et même très souvent, et puis celle, beaucoup plus intense et désespérée, qui broie le cœur dans un effroyable silence, la douleur de la pensée.
Hannah sait qu'il est bien difficile de la soigner sur notre univers. L'âme est un patient bien indéchiffrable. Il faut savoir l'apprivoiser pour la comprendre et cela demande beaucoup de temps, parfois une vie ou plusieurs même. Elle sait aussi que la douleur appartient à la terre et que c'est à elle seule qu'il faut savoir la rendre.
Alors, en ce matin d'avril à Budapest, dans l'aube de cette journée de printemps, Hannah a levé les yeux vers le ciel et ressenti sur son visage la caresse des premiers rayons du soleil ; doux et chauds à la fois. Il y a la vie à la maison. Il faut qu'elle aille la respirer...
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