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La vie de Ada - Récit 21 - Contrat d'âme -



Musique - Lévon Minassian (Duduk) - " They Have Taken the One I Love "


En ces dernières journées d'avril à Budapest, la ville s'enveloppe encore parfois dans l'humidité des brumes du début de printemps. Ce matin, il fait un peu froid dans la maison mais Sara s'est levée à sept heures, comme à son habitude. Elle entre dans la chambre d'Adam et ouvre les rideaux pour laisser entrer la lumière du jour. Les rayons caressent le visage de l'enfant. Il se blottit instantanément sous les couvertures et ferme les yeux de toutes ses forces. Sara tire les draps et Adam pleure un peu. Il aimerait tellement rester dans ses rêves, là où tout est toujours beau et chaud. Mais Sara ne se laisse pas émouvoir. Elle le prend par le bras, l’emmène à la cuisine et l'assoit sur un tabouret pour lui servir son petit-déjeuner ; un bol de lait coupé d'eau accompagné d'un morceau de pain. La nourriture est rare dans la ville en cette année 43. La chaleur du liquide coule dans sa gorge et remplit son corps. La journée peut enfin commencer.


Seule pour élever Adam depuis le début de la guerre, Sara sait que les pleurs, les plaintes ou les soupirs sont bien inutiles et n'apprennent rien à l'âme. Pour faire grandir son esprit, sur cette terre si difficile à vivre, il faut savoir transcender les forces et les expériences acquises à travers les différentes vies et poser délicatement sur elles, de la lumière sur l'ombre.


C'est "le contrat que l'on passe avec son âme" avant de venir sur terre, lorsqu'on est âme au paradis des âmes.


Il y a des millions d'années, pour parler en années de cette terre, Sara avait été Amazone. Elle habitait les rives du fleuve Thermodon et combattait les Grecs pour assurer sa survie. Elle alliait la force à la beauté et, pour assurer sa descendance, elle s'unissait, une fois par an, avec les hommes des peuplades voisines dont elle choisissait le plus beau. Après, durant de nombreuses vies, elle avait été chef des armées. D'une intelligence très fine, elle avait un sens aigu de l'analyse et de la stratégie et faisait preuve d'un remarquable discernement. La mort, elle la connaissait. Elle avait vu mourir tant d'hommes sous son commandement. Elle savait que la vie peut disparaître en une fraction de seconde et que son rôle à elle était de protéger la vie.


Ainsi, dans cette vie à Budapest, forte de ses mémoire d'Amazone ou de chef des armées, Sara avait développé une véritable phobie de la mort. La guerre réactivait des démons enfouis au fond de son âme et la plongeait dans des angoisses terrifiantes qu'elle calmait à travers une rigidité et une implacable organisation. Tout était rangé, classé, contrôlé. Sans en avoir vraiment conscience, elle donnait des ordres et ne supportait en aucune façon qu'ils soient transgressés.


Les hommes, ils n'étaient pas dignes de sa confiance. Ils l'avaient trompée à tant de reprises, ou, elle s'était trompée sur eux ... Pour mettre au monde un enfant, son enfant, elle avait choisi le père, le géniteur. Il était beau, intelligent et talentueux mais ce n'était ni un père ni un amant. Elle ne lui en avait pas donné le droit. Un jour, il était parti et elle n'avait pas compris pourquoi.


A ses côtés aujourd'hui, il y avait Adam, cet enfant venu de nulle part. Hypersensible et à fleur d'émotion, il était bien éloigné de ce qu'elle avait appris, à travers ses nombreuses vie d'Amazone. A sa naissance, elle l'avait observé avec surprise et curiosité. Il n'avait pas poussé de hurlements comme le font les nourrissons mais l'avait observée, fixement, de ses immenses yeux gris vert. On l'avait posé sur sa poitrine mais elle l'avait écarté de ses bras, épuisée par un accouchement trop long et douloureux. C'était un garçon et elle aurait aimé une fille. Elle aurait été comme elle, une amazone et tout aurait été plus facile ...


Alors, seule aujourd'hui à Budapest, Sara regarde Adam essuyer ses larmes de la manche de son gilet. Elle n'a pas envie de le consoler. Il doit apprendre à se débrouiller sans elle. Adam regarde Sara et son cœur souffre. Tout est tellement injuste et Sara ne comprend jamais rien. Un jour peut-être ? ...

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