Musique - "Fly "suivie de "Una matina" - Ludovico Einaudi
Photo - Jean-Marc Philippe
Ce soir, Sarah pleure. Avec la nuit, la peur est entrée dans la maison. Elle a glissé sur sa peau, parcouru son corps souple et léger et s'est infiltrée au plus profond d'elle-même, doucement, implacablement. Sarah, l'Amazone a baissé les armes et elle a dévoilé au monde les blessures de son cœur.
La guerre fait rage en ce mois d'août 1943 à Budapest. Sur la colline, cachée derrière le feuillage des arbres, la grande bâtisse a refermé sur elle Hannah, Sarah, Elsa, Raphaël et les enfants pour les protéger, encore un peu, de l'épaisseur de ses murs. Les volets clos laissent à peine passer la lumière et les jours et les nuits s'étirent dans la pénombre du jour et l'obscurité de la nuit. Les enfants se sont tus. Sarah ne danse plus, ni n'éclabousse la vie avec ses éclats de rires. Elsa n'attrape plus les couleurs des fleurs à travers l'objectif de son appareil photo. Hannah s'est enfermée dans un silence qui n'appartient qu'à elle. Muré dans son mutisme, Raphaël arpente inlassablement les pièces de la maison. Sa large carrure projette des ombres immenses sur les murs. Ada les cherche, les regarde et court s'y cacher pour y trouver le réconfort de ses bras. Alors, la peur s'apaise, quelques minutes, quelques heures parfois ... Adam pleure, seul, blotti dans son lit.
La guerre approche, près, très près de la maison. Souvent, les soldats font résonner le sol avec leurs bottes. Ils crient et font aboyer leurs chiens. Parfois, les deux se confondent et nul ne peut discerner l'homme de la bête. Ils sont unis dans une violence sourde, aveugle, dévastatrice. Ils passent et repassent devant la maison, le jour, la nuit.
Surtout, ne pas faire de bruit, ne pas ouvrir la porte, se cacher dans les profondeurs de la maison, sous les lits, au fond des placards. Ada connaît tout cela. Hannah le lui a appris, le lui a ordonné. Devenir ombre, disparaître.
Sarah connait le combat pour la vie. Seule pour élever Adam, elle a toujours su se battre et elle a toujours gagné. Mais aujourd'hui, la lutte lui semble bien peu équitable. Combattre contre des ombres, pour des raisons qu'elle ne comprend pas, elle ne sait pas le faire. Que veulent-ils ? Que lui reprochent-ils ? Que lui demandent-ils ? Qui sont-ils ? La partie est bien trop inégale. Elle est bien seule et ils sont si nombreux. Se rendre, trahir son âme, son essence, ce qui l'a faite telle qu'elle est aujourd'hui, jamais elle ne le fera, même si elle doit en mourir, avec Adam et ceux qu'elle aime. Sarah est une Amazone et les Amazones meurent toujours au combat, debout, en regardant leur ennemi droit dans les yeux.
Alors, Sarah a balayé ses peurs et a retrouvé la guerrière, celle qui, il y a longtemps, bien longtemps pour parler en années de cette terre, habitait sur les rives du fleuve Thermodon et combattait les Grecs pour assurer sa survie. Les larmes n'appartiennent pas à une Amazone, même au milieu d'une guerre d'été, à Budapest, en cette année 43.
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