Musique : Giorni dispari-Ludovico Einaudi
Mai 1943 à Budapest. Le jardin sort enfin de son sommeil hivernal et se drape doucement dans ses habits de verdure. Ada a sept ans et cette journée à quelque chose de très spécial. C'est son anniversaire et Ada se demande comment on est lorsqu'on a huit ans. Est-ce qu'on peut-on grandir soudainement en une nuit ? Est-ce qu'on oublie ses rêves de petite fille lorsqu'on a huit ans ?
Hannah est venue l'embrasser tôt ce matin et lui a murmuré des mots tendres dans l'oreille. Ada s'est immédiatement blottie contre elle pour ressentir la douceur de sa peau et l'odeur poudrée de son parfum.
C'est la guerre dans la ville mais Ada ne la voit pas, ne l'entend pas, ne la regarde pas. Elle est née avec. La guerre ou la paix, c'est pour elle la même chose. Elle ne connaît pas la différence entre les deux. De même, elle a toujours un peu froid ou faim mais sur la terre, c'est toujours comme ça. Et aujourd'hui, Hannah lui a promis un gâteau d'anniversaire et cela fait si longtemps qu'elle en a oublié le goût. Alors Ada se réjouit, la journée sera belle.
Mais ce qu'aime Ada plus que tout, c'est voyager, loin, très loin, au-delà des pensées. Ada sait qu'elle peut-être là, bien présente dans la grande maison, entourée de ceux qu'elle aime, mais aussi qu'elle peut, en quelques secondes, s'échapper dans l'histoire du temps, le temps de ses vies, le temps de son âme. C'est l'univers qu'elle préfère et c'est un peu son école à elle, sa façon d'apprendre la vie. Elle sait que c'est dans l'histoire des vies que l'on trouve les réponses aux questions que l'on se pose sur la terre. C'est un peu comme à l'école ; plus vite on apprend, plus facile il est de comprendre les nouvelles leçons. Et puis cela évite à avoir à redoubler. C'est si ennuyeux de devoir faire et refaire toujours les mêmes vies.
Les chemins qui conduisent aux portes de la mémoire, Hannah les lui a montrés dès sa naissance, instinctivement, intuitivement, sans aucun mot ni aucune parole. Les guides savent très bien faire cela même s'ils ont sur terre un rôle de mère, père, frère ou sœur. Ainsi, lorsque Ada pleure, elle ouvre la porte de ses pensées et regarde les mémoires de son âme. Les dossiers y sont très bien classés et il suffit de feuilleter les pages, les unes après les autres. Tout est écrit. Ada est une très bonne élève et elle sait très bien lire et surtout comprendre à travers les lignes.
Pour les humains, incarnés sur cette terre, les mémoires du temps ne dévoilent que quelques mystères uniquement. Il n'est pas nécessaire de tout lire ; seuls quelques chapitres parfois suffisent à comprendre le contrat passé avec son âme, bien avant de s'incarner sur notre univers.
Alors, en cette journée de son huitième anniversaire à Budapest, Ada a regardé la jolie robe posée par Hannah sur l'accoudoir du fauteuil de sa chambre, elle a senti le tissu glisser sur son petit corps gracile, elle s'est regardée dans la glace de ses grands yeux noirs étonnés et a senti la délicieuse odeur de son gâteau d'anniversaire. Aujourd'hui, elle n'a pas besoin de s'échapper sur les routes du temps. La journée l'appelle et le temps est le présent.
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